Péron
Quel avenir pour l'enseignement public ?
Dossier
publié le
mardi 25 novembre 2003
par EC
dans les rubriques :
Associations
Social
- Gérard de Sélys a exposé clairement ses analyses
- L'auditoire convaincu d'avance a complété la réflexion par des exemples concrets
- Epaulés par des représentants syndicaux et l'association Attac, le journaliste a répondu aux questions du public
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Conférence Europe et Education
Lors d'une conférence sur l'évolution de l'enseignement public dans l'Europe libérale, le journaliste belge Gérard de Sélys a dressé un état des lieux peu rassurant sur l'avenir de l'enseignement. Un exposé qui devrait pour le moins conduire à un débat contradictoire.
L'enseignement de connaissances a-t-il une chance de survivre face à l'apprentissage de compétences ? Ou en terme plus politique, l'enseignement général du service public va-t-il être remplacé par un apprentissage pratique et rentable du secteur privé ? C'est à cette question que le journaliste Gérard de Sélys a tenté de répondre, jeudi dernier, lors de la conférence organisée par l'inter-syndicale enseignante du Pays de Gex et l'antenne gessienne de l'association Attac. Sans vouloir entrer dans le "grand débat" proposé par le ministère de l'éducation, mais tout en profitant de son actualité, les syndicats d'enseignants ont souhaité alerter l'opinion sur les transformations déjà en marche dans les systèmes éducatifs européens. Gérard de Sélys a commencé son exposé en 1873, date de la première crise industrielle. Pour conserver leur profit les industriels aidés par les gouvernements de l'époque partent coloniser le monde. Cela résout leurs problèmes pour un temps, jusqu'à la crise suivante. Crises après crises, arrive celle de 1973, qui produit encore ses effets de nos jours. Le monde sortant de conflits armés dévastateurs, de décolonisation progressive, il n'est plus question de conquêtes extérieures pour ouvrir de nouveaux marchés. Les industriels se tournent donc vers de "nouvelles colonies" : les entreprises et les services publics.
L'europe alliée de l'industrie
Pour Gérard de Sélys, ce sont donc des pans entiers des économies européennes qui passent progressivement du public au privé : l'eau, l'électricité, la téléphonie, et de plus en plus, l'enseignement. Car l'Europe a émis une directive mettant fin à la péréquation. Le journaliste explique : "La péréquation, dans les services publics, c'est ce qui permet d'utiliser les bénéfices d'un secteur rentable, pour les attribuer à un secteur non rentable. Par exemple d'apporter le réseau d'eau dans un village reculé, ce qui coûte de l'argent, en utilisant les profits réalisés dans une ville dont la concentration de population permet de tirer des bénéfices. Cette péréquation est maintenant interdite par la commission européenne : un service rentable ne peut plus subventionner un service non rentable, un peu comme si un constructeur automobile n'avait pas le droit d'utiliser les bénéfices de son service vente pour les affecter à son service construction. Malgré l'opposition de certains gouvernements, cet arrêté européen est maintenant en vigueur, conduisant les états à privatiser leurs services publics."
Compétences contre connaissances
Et l'éducation n'échappe pas à ce principe. Si en France le processus n'est pas encore allé très loin, d'autres pays européens ont déjà franchi le pas. Car un cercle vicieux s'installe : les états ayant de moins en moins de moyens pour le fonctionnement de leurs écoles, subventionnent des organismes privés qui s'occupent des aspects rentables, c'est à dire de former des travailleurs pour leurs entreprises, qui ne seront donc pas chômeurs à la sortie de l'école. Aux yeux de l'opinion et des états les organismes privés sont donc plus efficaces, il faut donc en subventionner plus, quitte à laisser de côté l'enseignement de matières moins "intéressantes". Et le journaliste de nommer "l'histoire, la philosophie ou même les mathématiques dont on n'aborde plus que l'essentiel". Il explique aussi que "si seuls les états peuvent délivrer des diplômes, alors les industriels privés inventent un système de carte à puce de compétences, contenant le parcours de l'apprenant lui ouvrant les portes de tel ou tel emploi. Enfin pour gagner dans les coûts de formation, le secteur privé privilégie la formation à distance, via internet par exemple (voir ci dessous), au frais de la personne formée, sur son temps de loisirs et non plus de travail."
A quand la révolte ?
Cette transformation de l'enseignement, comme des autres services publics qui passent au privé, crée une société où ceux qui ont les moyens financiers s'en sortiront tandis que les autres seront mis de côté. Une société qui n'est pas viable selon le conférencier, qui, pour répondre à une question du public, s'attend donc à une révolte sans savoir quand elle aura lieu : "dans un an dans 10 ans, dans 100 ans, je ne sais pas comment la mayonnaise prend". Cet état des lieux a visiblement conforté l'auditoire dans ses convictions, les syndicalistes présents ajoutant des cas concrets et vécus des évolutions exposées par le journaliste. Ainsi la décentralisation actuellement mise en marche ne va t'elle pas créer un enseignement à plusieurs vitesses selon la richesse des régions ? Les diplômes auront ils la même valeur à Lille ou à Marseille ? Autant de questions auxquelles le conférencier et l'auditoire ont apporté leurs réponses. Mais les avis opposés n'étant pas représentés - il s'agissait d'une conférence et non pas d'un débat - la contradiction n'a pas été apportée. Tout comme aucune contre-proposition n'a été envisagée par le conférencier ou le public. Le "grand débat sur l'éducation" qui s'engage permettra-t-il ce débat contradictoire ?
E.C.
Le conférencier : Gérard de Sélys est journaliste depuis 1973 à la RTBF (radio télévision belge francophone). Spécialiste des questions économiques et sociales, il a publié de très nombreux ouvrages, sur l'éducation, les relations Nord-Sud, les médias… Il collabore aussi régulièrement au Monde Diplomatique. Il a créé ou rejoint de nombreuses associations. Quelques uns de ses ouvrages : Privé de public, à qui profitent les privatisations (EPO, éditeur belge, 1996) ; Tableau noir, résister à la privatisation de l'enseignement (EPO, 1998), Médiamensonges (EPO,1991).
A propos d'Internet Le journaliste conférencier n'a rien contre Internet, bien au contraire. Grâce à son utilisation, il peut diffuser ses propres idées, ses analyses et le rendre accessibles au monde entier, comme lui a accès à une mine d'informations pour ses recherches. Par contre, le développement du télétravail à façon, où les personnes travaillent chez elles au contrat, selon les besoins des entreprises et qui, outre le manque de lien social, peuvent être remerciées à tout moment si l'entrepreneur trouve moins cher ailleurs, est une situation qui précarise l'emploi. De plus cette solution incite les employeurs à demander aux employés de se former chez eux, à leurs frais et sur le temps personnel. Autant d'économie réalisée...
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